Datations du Mésolithique de l'Ouest

Chronologie du second Mésolithique dans le Nord-Ouest de la France


Plusieurs systèmes chronologiques se sont succédés pour organiser les habitats mésolithiques du Nord-Ouest de la France (Normandie, Bretagne, Pays-de-la-Loire) depuis la fin du XIXème siècle, qui vont évidemment vers un gain de précision. Les premières dates par le radiocarbone ont été obtenues sur les sites de Beg-an-Dorchenn et Hoedic, avec des intervalles de confiance de plusieurs centaines d’années, à partir de matériaux très mal placés dans les sites. Au milieu des années 1980, Olivier Kayser et Antoine Chancerel devaient réaliser une première organisation chrono-culturelle qui associait de nouvelles dates par le radiocarbone à des classifications des armatures.


Plusieurs effets affectent les premières dates obtenues dans l’ouest de la France
Les trop grandes marges d’erreur, qui atteignent jusqu’à ±350 à Hoedic, sont liées aux développements de la méthode de datation. Ces dates avaient le mérite de placer ces sites dans le fil du temps et les nouveaux travaux n’ont pas démenti ces premières approximations, mais elles sont sans pertinence désormais.

L’effet réservoir marin est un obstacle plus complexe à surmonter. Le taux d’isotope 14 du Carbone dans les couches profondes de l’océan est en général plus bas que celui des eaux superficielles et donc de l’atmosphère. Ainsi, ces compositions isotopiques semblent vieillir les eaux les plus profondes. Les organismes marins – et les pêcheurs humains en font partie en sommet de chaîne alimentaire – ont alors un taux d’isotope 14 du Carbone inférieur aux organismes terrestres, ce qui provoque un vieillissement artificiel des dates obtenues sur les matériaux. Ce taux est dépendant entre autres des courants marins et varie suivant les segments de littoral et la période considérée. La datation de coquilles marines varie selon les espèces et n’est qu’un pis-aller, dont l’imprécision est rédhibitoire au stade actuel de la périodisation du Mésolithique. La mauvaise maîtrise de la variation de cet effet associe également ses effets à la consommation de produits marins par les animaux ou les hommes, comme on le détecte dans la valeur du δ13C, avec une correction complexe à mettre en œuvre. Cela concerne notamment les dates sur les squelettes de Téviec et Hoedic, ou encore celle obtenue sur un sanglier de Beg-er-Vil visiblement friand de produits marins.


Les erreurs de laboratoire ne sont pas aisées à détecter lorsqu’il n’y a qu’une date pour une structure archéologique ou une couche, ce qui est le cas de la plupart des sites fouillés récemment, hormis Beg-er-Vil. De telles erreurs ont été particulièrement marquantes pour les ossements humains de Téviec et Hoedic, avec un problème d’ultrafiltration au laboratoire d’Oxford qui a altéré les comptages isotopiques publiés par R. Schulting et M. Richards (2001).

Les imprécisions stratigraphiques sont caractéristiques de la plupart des dates obtenues sur le terrain avant 2000. La plus lourde de conséquence a été celle de 6020 ± 80 BP obtenue sur coquilles à Beg-er-Vil, qui rajeunissait de plus de 1000 ans ce site utilisé comme référence des synthèses chrono-culturelles au cours des années 1990 et 2000.

Les perturbations sédimentaires affectent des sites comme Pont-Glas ou Kerliézoc, les associations entre l’échantillon daté, les structures et le mobilier archéologique ne sont pas assurées. 

Conséquence de la sélection de ces comptages isotopiques pour l’établissement du cadre culturel


Sur un total de 47 dates disponibles dans le Nord-Ouest de la France pour le second Mésolithique, nous en avons gardé 18, après une sévère sélection des contextes et des échantillons, auxquelles il faut ajouter 5 dates sur squelettes humains de Téviec et Hoedic. Comme dans la chronologie établie à la fin des années 1980 par Olivier Kayser, les piliers de notre édifice chronologique restent les habitats littoraux de Beg-er-Vil et Beg-an-Dorchenn, mais la succession en a été renversée, puisque Beg-er-Vil est désormais plus ancien que Beg-an-Dorchenn. La datation de ces niveaux coquilliers maritimes pose par ailleurs des problèmes spécifiques, à la fois pour des raisons chimiques, mais aussi parce qu’il s’agit d’habitats de longue durée, à la chronologie interne assez complexe.





L’industrie lithique en Bretagne présente des caractères homogènes en ce qui concerne les techniques. La présence très discrète de la percussion indirecte comme technique de détachement des lames et lamelles ou l’usage non-marginal de roches de substitution au silex en zone continentale sont parmi les caractères les plus marquants en comparaison du reste de la France. En ce qui concerne l’outillage, on soulignera en revanche des différences entre les assemblages tévieciens, qui fondent l’hypothèse d’une bipartition chronologique. Elles sont basées sur la présence/absence de deux types d’outils :


  • les couteaux à dos convexe versus lames à troncature oblique
  • les bitroncatures symétriques, versus « assemblages mixtes » à bitroncatures symétriques, asymétriques et triangles scalènes larges. 

Si l’on ne considère que les ensembles datés avec exactitude (Beg-er-Vil et Beg-an-Dorchenn), on observe une phase à bitroncatures symétriques et couteaux à dos convexes dans les deux derniers siècles du septième millénaire, puis une phase à lames à troncature et assemblage mixte d’armatures entre 5600 et 5500 avant notre ère. Le premier est nommé Téviecien de faciès Beg-er-Vil, le second Téviecien de faciès Hoedic. Dans le schéma évolutif proposé récemment à l’échelle du Sud-Ouest de l’Europe (Marchand et Perrin, 2017), cet usage initial exclusif des bitroncatures symétriques ne saurait étonner à une telle date. Il se situerait deux ou trois siècles après les premières occurrences de ces industries à trapèzes dans les couches 15-16 de la Baume de Montclus dans le Gard, dans l’intervalle 6600-6400 avant notre ère (Perrin et Defranould, 2016). Peut-être faut-il encore rappeler ici que cette dynamique d’expansion du second Mésolithique dans le sud-ouest de l’Europe n’est pas initiée par l’évènement climatique de 6200 avant notre ère (connu aussi comme le « 8200 cal BP Climatic Event »).

Si l’on ne réfléchit que sur les dates réalisées sur des échantillons non marins (en excluant donc Téviec et Hoedic), un hiatus chronologique de plusieurs siècles est évident entre les dernières manifestations du Mésolithique et les premières phases du Néolithique. Celles-ci sont en effet recensées dans la plaine de Caen, en Normandie, entre 5200 et 5000 avant notre ère pour l’étape ultime du Rubanée (Billard et al. 2014). L’étape suivante (VSG) occupe les trois premiers siècles du cinquième millénaire, tant en Normandie qu’en Bretagne (Marcigny et al., 2010 ; Tinévez et al., 2015). Quant au courant de néolithisation au sud de la Loire, tributaire dans ses apprêts typologiques de la sphère culturelle de la Céramique imprimée, il n’est solidement attesté que dans l’intervalle 4700-4500 avant notre ère, avec des indices de présence cependant au Grouin du Cou (La Tranche-sur-Mer, Vendée) dans les derniers siècles du sixième millénaire (Marchand et Manen, 2009). 

Conclusion 

La construction du référentiel radiométrique est un exercice qui ne finira évidemment jamais. Elle a rencontré en Bretagne de sérieux problèmes méthodologiques (contextes sédimentaires incertains, effet réservoir océanique, échantillons biaisés…), qui font de cette région une sorte de laboratoire pour l’usage du radiocarbone. A l’issue de cette véritable révolution chronologique, un nouveau cadre émerge pour les septième et sixième millénaires dans cette région autour de quelques bornes chronologiques très solides, bien que trop rares. Cette discontinuité des informations temporelles est très certainement en cause dans la création d’un « hiatus » à la transition Mésolithique/Néolithique, De manière paradoxale, le raffinement chronologique des dernières années a été préjudiciable à une certaine esthétique de la construction chrono-culturelle, ce qui invite a minima à beaucoup d’humilité… 

Pour davantage de développements, lire :

Marchand G., Schulting R. (2019) – Chronologie du second Mésolithique dans le Nord-Ouest de la France, in R.-M. Arbogast, S. Griselin, C. Jeunesse et F. Séara (dir.) – Le second Mésolithique des Alpes à l’Atlantique (7e - 5e millénaire), Table-ronde internationale, Strasbourg, les 3 et 4 novembre 2015, Strasbourg, (Mémoires d’Archéologie du Grand-Est 3), p. 109-125.


Quelques références bibliographiques

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MARCHAND G., MANEN C., 2006 - Le rôle du Néolithique ancien méditerranéen dans la néolithisation de l’Europe atlantique. In : Fouéré P., Chevillot C., Courtaud P., Ferullo O., Leroyer C. Paysages et peuplements. Aspects culturels et chronologiques en France méridionale. Actualité de la recherche. Actes des 6ème rencontres Méridionales de Préhistoire récente. Coédition ADRAHP- PSO, Périgueux., Colloque Néolithique de Périgueux, 14-16 octobre 2004.p. 213-232.

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MARCIGNY C., GHESQUIERE E., JUHEL L., CHARRAUD F. (2010) - Entre Néolithique ancien et Néolithique moyen en Normandie et dans les îles Anglo-Normandes. Parcours chronologique, in C. Billard et M. Legris (dir.), Premiers Néolithiques de l’Ouest. Cultures, réseaux, échanges des premières sociétés néolithiques à leur expansion, Rennes, Presses Universitaires de France, p. 117-162.
 
PERRIN T., MARCHAND G., ALLARD P., BINDER D., COLLINA C., GARCIA-PUCHOL O., VALDEYRON N. (2009) - Le second Mésolithique d’Europe occidentale : origine et gradient chronologique (the late Mesolithic of Western Europe : origins and chronological stages), Annales de la Fondation Fyssen, 24, p. 160-177.

PERRIN T., DEFRANOULD E. (2016) - The Montclus rock shelter (Gard) and the continuity hypothesis between 1st and 2nd Mesolithic in Southern France, Quaternary International, 423 (2016), p. 230-241

SCHULTING R. J., RICHARDS M. P. (2001) - Dating women becoming farmers : new paleodietary and AMS dating evidence from the breton mesolithic cemeteries of Téviec and Hoedic, Journal of Anthropological Archaeology, 20, p. 314-344.

TINEVEZ J.-Y., HAMON G., QUERRE G., MARCHAND G., PAILLER Y., DARBOUX J.-R., DONNART K., MARCOUX N., PUSTOC’H F., QUESNEL L., OBERLIN C., ROY E., VILLARD J.-F., NICOLAS É. (2015) - Les vestiges d'habitat du Néolithique ancien de Quimper, Kervouyec (Finistère), Bulletin de la Société Préhistorique Française, 112, 2, p. 269-316.

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