Bilan des fouilles de l’année 2022 à L’Anse à Henry (Saint-Pierre-et-Miquelon)

Territoire français d’outre-mer, l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon comprend trois îles principales situées à une vingtaine de kilomètres au sud de l’île de Terre-Neuve (Canada). Dans le cadre d’un projet de demande de classement de son patrimoine maritime auprès de l’UNESCO portée par un groupe soucieux de son héritage culturel, une équipe franco-canadienne dirigée par Réginald Auger (Université Laval, Québec) et Grégor Marchand (CNRS-Université de Rennes) a entamé la fouille  de l’Anse à Henry, habitat côtier occupé de l’Archaïque maritime à la période historique. Plusieurs billets de ce blog relatent cette épopée...

 

La zone basse de l'Anse-à-Henry lors des fouilles archéologiques, le 30 août 2022 (photo : Grégor Marchand).
 

La démarche scientifique empruntée est plus globale qu’une simple fouille, avec l’intégration de multiples échelles d’analyse. Elle comprend un volet géomorphologique (suivi de l’érosion, changement des niveaux marins) et un volet archéologique (inventaire du patrimoine, datations des différentes occupations, restitution des réseaux d’occupation).

L’analyse des morphologies rencontrées à l’Anse à Henry le long du rivage ont permis ainsi de distinguer différentes portions de côte affectées soit par les processus d’érosion marine (action des vagues) ou par les processus subaériens (ruissellement, colluvions, etc.). Cette zonation du site archéologique a permis d’orienter les fouilles et de planifier les analyses paléoenvironnementales ultérieures. 

 

Dans la falaise qui borde le site à l'ouest, l'érosion entame chaque année un peu plus la falaise morainique, entraînant la chute de blocs massifs (photo et montage : Maureen Le Doaré).

 

Les fouilles de 2019 avaient permis de détecter des occupations Groswater (Pré-Inuit), très bien préservées dans la zone basse du site où l’isthme est la plus menacée par l’érosion marine. En 2021, une fouille en aire ouverte y avait été entreprise, tandis que l’étude géomorphologique menée par N. Bhiry (Université Laval, Québec) venait montrer en ces lieux une succession de zones humides.

La fouille de l’été 2022 s’est donc attardée sur cette zone, en ouvrant une surface de 18 m² explorée en fouille fine. La fouille de cette année montre une remarquable succession d’occupations pré-Inuits, plus particulièrement Groswater (500/200 avant notre ère), avec des passages ultérieurs que l’on peut attribuer au Dorsétien moyen (430/940 de notre ère), en bordure d’une petite dépression humide. Elle comprend notamment une dizaine de foyers à plat et une vaste zone de dépotoir (interprétée un peu vite en 2021 comme étant une unité d’habitation…). Nous disposons désormais d’une surface d’observation de 58 m² avec un enregistrement systématique des objets mesurant plus de 20 mm et un tamisage systématique à sec des sédiments. L’inventaire des pièces retrouvés dans les sondages de cette zone basse dépasse les 15 000 pièces lithiques

 

Fouille minutieuse et signalisation des pièces lithiques (par des piques à brochette !), le 31 août 2022 (photo : Grégor Marchand).

En zone basse, opération de relevé des vestiges Groswater par Max Pallares et Héloïg Barbel, le 10 septembre 2022 (photo : Grégor Marchand).  

 

Un sondage de quelques mètres carrés a été réalisé à partir de la paroi sud du rocher de la Vierge, dans la zone de l’isthme également. Deux composantes amérindiennes y ont été retrouvées dans deux couches clairement séparées l’une de l’autre par environ 11 siècles. Ces deux complexes culturels qui témoignent de technologies distinctes se retrouvent à Terre-Neuve soit le complexe Cow Head qui se manifeste de façon récurrente sur la Côte Ouest de Terre-Neuve et le complexe Beaches que l’on retrouve plutôt du côté de la Côte Est. 

 

Sondage au pied du rocher de la Vierge, le 13 septembre 2022 (photo : Grégor Marchand).

 

Les trois campagnes de fouille menées à l’Anse-à-Henry en 2019, 2021 et 2022, de même que les prospections pédestres sur l’archipel en 2020, ont livré un ensemble de données archéologiques, géomorphologiques et paléoenvironnementales de premier choix. Elles apportent un éclairage renouvelé sur les occupations humaines (amérindiennes et pré-Inuit), mais aussi sur l’érosion du site sous diverses contraintes naturelles (océan, colluvions). Cette vision plus dynamique des installations humaines et des contraintes géomorphologiques permet également de désigner des zones prioritaires à préserver et des zones plus dégradées sur lesquelles il conviendra d’intervenir dans les années à venir.

Notre objectif est désormais de faire une étude plus poussée des données recueillies à l’Anse-à-Henry, pour en livrer plusieurs publications, à destination de la communauté scientifique et du grand public. Elles s’attacheront à intégrer les travaux antérieurs menés par Jean-Louis Rabottin et Sylvie Leblanc, pour proposer un panorama global des occupations humaines de l’archipel antérieures à l’arrivée européenne.

Texte de Réginald Auger et Grégor Marchand, 2022

 

Inondation du matin, chagrin... (photo : Max Pallarès).

 
A chaque jour suffit sa pointe... (photo : Eloïse St-Pierre).


Une fouille, c'est aussi des centaines d'heures d'études vétilleuses pour enregistrer les vestiges et établir les premières cartes de répartition. Ici, la salle d'étude au Musée de l'Arche à Saint-Pierre. Maureen Le Doaré et Héloïg Barbel à la manoeuvre ! (photo : Grégor Marchand).



Et les prospections continuent à Saint-Pierre comme à Miquelon, menées par la force archéologique locale (Cédric Borthaire, Emmanuel Lemallier) (Photo : Grégor Marchand).














 

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