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Des groupes mobiles de chasseurs-cueilleurs du Mésolithique au centre de la Bretagne : l’abri-sous-roche de Pont-Glas à Plounéour-Ménez (Finistère)


Au sixième millénaire avant notre ère, le niveau marin s’est stabilisé à une dizaine de mètres sous l’actuel, ce qui permet enfin aux archéologues d’avoir accès à certaines traces de sociétés préhistoriques. Ces communautés vivant de chasse, de pêche et de cueillette ont su exploiter toute la richesse et la diversité des milieux littoraux, les autorisant même à s’installer durablement à certains endroits pour y implanter villages et nécropoles.



Et à l’intérieur de la péninsule ? Les vestiges laissés par les hommes sont innombrables, mais il est plus difficile de décrire leurs modes de vie faute d’une préservation adéquate des ossements et des stratigraphies. Si les habitats de plein-air sont à l’évidence les plus courants, en fond de vallée notamment, les recherches actuelles se concentrent sur des sites archéologiques davantage préservés de l’érosion, notamment les abris-sous-roche.

L’abri-sous-roche de Pont-Glas (Plounéour-Ménez, Finistère) proposait de bonnes conditions pour aborder cette problématique.

Fouilles totales à Pont-Glas

Le petit abri de Pont-Glas à Plounéour-Ménez, Finistère, a accueilli des passages réguliers de chasseurs du Mésolithique, comme l’ont montrées des fouilles de la totalité de la surface en 2007 et 2008 (dir : Grégor Marchand et Michel Le Goffic). 

Défrichement au tout début des fouilles en septembre 2007 (@G. Marchand)


Mise en place du carroyage (@G. Marchand)

Deux blocs de granite appuyés l’un contre l’autre offrent une protection à une surface d’une vingtaine de mètres carrés, ménageant une cavité à deux entrées (Est et Ouest) d’une surface d’une quinzaine de m². Un bloc de granite débité récemment fermait un peu à l’origine cet abri et devait faciliter l’installation d’une couverture. Cet abri a été découvert et sondé en 1987 par M. Le Goffic, qui y reconnut un niveau remanié contenant des silex du Mésolithique final et de la céramique gauloise, au-dessus d’un empierrement qualifié de « dallage ».


A la base de la stratigraphie, une succession de foyer (la structure 3, attribuée au Mésolithique (@G. Marchand)

Si l’entrée occidentale, très étroite, n’a visiblement jamais été concernée par les occupations humaines ni même les circulations, l’abri lui-même a livré un foyer soigneusement empierré aux bords hélas érodés (structure 1), puis une quinzaine de centimètres plus bas un épandage de charbon correspondant probablement à un foyer à plat (structure 2) Au même endroit mais dans une unité stratigraphique du Mésolithique encore plus basse, une zone de piétinement affectant directement le substrat ; elle témoigne également de l’occupation humaine (structure 3). Cette séquence ne se développe que sur un demi-mètre d’épaisseur et les perturbations sont nombreuses. Au terme de l’analyse spatiale des vestiges, il apparaît cependant évident que la base des unités stratigraphiques arénacées correspond à l’occupation mésolithique sans guère de perturbations protohistoriques.

Fouille sous le bloc 2 (@G. Marchand)

L’analyse spatiale des vestiges révèle quelques lignes de force intéressantes, malgré la très forte perturbation des lieux par les hommes et les animaux fouisseurs. On constate ainsi la concentration des pièces lithiques sous le bloc 2, avec un décalage partiel entre les composantes ancienne et récente du Mésolithique. Cette distinction est également perceptible contre toute attente dans la dimension verticale, avec évidemment un fort brouillage lié aux remaniements. De la même manière, la céramique laténienne se cantonne aux unités stratigraphiques supérieures, si l’on écarte des intrusions le long des blocs au gré des effets de paroi.

L’industrie lithique

Fort de 998 éléments, le matériel lithique comprend une composante ancienne (huitième millénaire avant notre ère), avec des triangles scalènes étroits, des lamelles à dos étroites et des pointes à base retouchée, et une composante récente à trapèzes symétriques. La date de cette dernière dans la seconde moitié du sixième millénaire avant notre ère est confirmée par une datation sur charbon prise dans le dernier niveau.

Armatures de Pont-Glas. 1, 2, 3 : triangles scalènes étroits ; 4, 5, 6, 12 : pointes à bases retouchées ; 7, 8, 9, 10 : fragments de lamelle à dos ; 11 : armature indéterminée ; 13, 14 : pointes à troncature oblique ; 15 : armature à cassure en pseudo-microburin de type krukowski ; 1,6, 17 : triangles scalènes larges ; 18 à 27 : trapèzes asymétriques ; 28 : bitroncature trapézoïdale classée avec les trapèzes (@G. Marchand).


Un petit pic en microquartzite de la Forest-Landerneau évoque immanquablement les groupes mésolithiques de Basse-Normandie et du Bassin parisien du huitième millénaire avant notre ère ; c’est le premier outil prismatique découvert en Bretagne. L’analyse des chaînes opératoires montre une grande diversité de roches et la rareté des phases initiale du débitage, tandis que les étapes de réfection d’armature de flèches sont très bien représentées.


Pic en microquartzite trouvé à Pont-Glas (@. Marchand)

Les matières premières utilisées pour la fabrication des outils ont été ramassées sur des gisements géologiques de tout le Finistère, mais elles arrivaient à Pont-Glas en petite quantité à chaque fois. Cela incite à penser que ces hommes et/ou ces femmes venaient seulement passer une nuit lors d’expédition à longues distances, pendant laquelle ils réparaient leurs armes endommagées à l’aide de blocs tiré de leur paquetage, pour repartir le lendemain. 


Un abri dans la forêt

L'analyse anthracologique réalisée par Nancy Marcoux montre un environnement végétal contemporain des occupations de l'abri-sous-roche est une chênaie acidiphile à houx. Les cortèges taxonomiques observés révèlent toutefois des incursions dans des milieux d'autres types. Il semble ainsi vraisemblable que les bois ont été sélectionnés pour des usages spécifiques. Dans les unités stratigraphiques datant du Mésolithique, l'observation de charbons de petit calibre comportant un dernier cerne de croissance composé uniquement de bois initial suggère une occupation de l'abri au printemps.


Des haltes de chasse successives au cours du Mésolithique


Si la faible dynamique sédimentaire d’un abri sous bloc de granite ne garantit nullement la préservation intégrale des occupations, les résultats obtenus sont particulièrement importants pour la compréhension des dernières sociétés de chasseurs cueilleurs. C’est en effet la première fois dans le Mésolithique de l’ouest de la France que l’on a pu distinguer des chaînes opératoires mésolithiques fractionnées dans l’espace et le temps.

Par ailleurs, le nombre d’armatures détruites par l’usage dépasse largement ce que l’on connaît sur les grands habitats mésolithiques régionaux. Ces deux paramètres feraient de Pont-Glas un exemple unique de halte de chasse temporaire, sur laquelle quelques individus viendraient réparer leurs armes, avant de repartir en emportant le plus souvent leurs nucleus et leurs outils de taille.



Exemple de bitroncature symétrique (trapèze symétrique ou flèche tranchante) lourdement impactée (@G. Marchand)

Quels gibiers chassaient-t-ils dans cette zone de collines adossée aux Monts d’Arrée ? A cette époque, cerf, chevreuils et sangliers grouillaient dans les profondes forêts de chênes. Le reste de la communauté restait probablement dans le campement principal et on a effectivement retrouvé de vastes sites archéologiques qui restent à mieux comprendre, autant dans des vallons du Léon, que sur les berges de l’Aulne ou au cœur même des Monts-d’Arrée.





Références bibliographiques

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MARCHAND G., LE GOFFIC M. , DONNART K., MARCOUX N.,  QUESNEL. (2017) - Comprendre les systèmes de mobilité au Mésolithique : l’abri-sous-roche de Pont-Glas à Plounéour-Ménez (Finistère), Gallia-Préhistoire, 57, p. 3-66.

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NAUDINOT N., MARCHAND G., 2020 - Take shelter! Short-term occupations of the Late Palaeolithic and the Mesolithic in the French far West. In : Picin A. et Cascalheira (ed.), Short-Term Occupations in Paleolithic Archaeology, Definition and Interpretation, Springer book (series "Interdisciplinary Contribution to Archaeology"), p. 121-146.





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