Paysage lithologique de Saint-Pierre et Miquelon

Une île volcanique, des roches acides

Le substrat géologique de l’île de Saint-Pierre est principalement marqué par une intense activité volcanique de type explosif, datée entre 585 et 575 millions d’années, qui a abandonné des tufs cendreux, des tufs à lapillis et des brèches pyroclastiques.

L’érosion des ères glaciaires – rabotage par les glaciers, fragmentation brutale des blocs lors des alternances gel-dégel, dépôt de moraines - homogénéise certes les paysages, mais une réelle diversité lithologique apparaît vite aux yeux de celui qui parcourt falaises, plateaux et collines.

Le nord de l'île de Saint-Pierre : roches volcaniques et paysages post-glaciaires (G. Marchand)

Les roches taillées par les populations amérindiennes et paléoesquimaudes à l’Anse à Henry durant cinq millénaires sont extrêmement diverses par leur aspect et leur coloris, mais elles correspondent toutes à des silicifications très homogènes, à grain très fin, qui permettent l’obtention de fils vifs destinés à trancher (têtes de flèche ou de harpon, couteaux) ou à racler (grattoirs, racloirs).

Tête de harpon polie puis retouchée, à peine exhumée de la tourbe. Mais quelle est cette roche blanche ? (G. Marchand).

Dans le cadre des fouilles archéologiques qu’il codirigea avec Sylvie LeBlanc à l’Anse-à-Henry entre 1997 et 2004, Jean-Louis Rabottin avait réalisé un premier classement des roches travaillées en une vingtaine de types, une variété encore accrue lors de nos propres travaux.


De nouvelles reconnaissances systématiques sur le terrain

 

A quoi correspond cette diversité apparente des roches ? Combien de gisements géologiques ont été réellement exploités par les occupants préhistoriques de l’archipel ?

Au delà de cette identification initiale du potentiel géologique, il s’agit aussi de mesurer les distances parcourues par les humains, de comprendre les principes de sélection des tailleurs, d’estimer les échelles de valeur de certaines roches. L’accessibilité des roches taillables entre aussi en ligne de compte dans les occupations humaines et dans la structuration des paysages. Tous ces paramètres varient bien sûr en fonction des périodes : on voit déjà à l’Anse à Henry des roches négligées durant la période Groswater qui connaitront ensuite au Dorset un succès sans précédent.

Grace à sa connaissance des îles, Jean-Louis Rabottin avait proposé certaines localisations pour les principaux gisements, ainsi à l’est de l’île du Grand Colombier, ou dans les falaises marines de Cap Rouge à l’Est ou de Cailloux Rouges à l’Ouest, mais sans parler de carrières ni d'exploitation. Certains « cherts » étaient présumés provenir de Terre-Neuve, car ces silicifications d’origine sédimentaire sont absentes des substrats des îles de Saint-Pierre, Miquelon ou Langlade.

Classement des principales rhyolites ignimbritiques taillées à l'Anse à Henry, dans les vitrines du Musée de l'Arche à Saint-Pierre, réalisé par J.-L. Rabottin (G. Marchand).

Une « task-force » constituée de Cédric Borthaire (Professeur au Lycée de Saint-Pierre), Max Pallares (Archéologue contractuel) et Grégor Marchand (Chercheur au CNRS – Université de Rennes 1) s’est attelée à de nouvelles prospections, en marge des fouilles de septembre 2019.

C’est une chasse aux accidents siliceux, pour laquelle l’excellente carte géologique du BRGM aujourd’hui disponible n’aide guère, car ces silicifications semblent bien anecdotiques aux yeux des géologues lors de leurs travaux. 


Vérifier chaque affleurement, monter et descendre les falaises, glisser... Recommencer... (G. Marchand)
  
Parcourir les vastes espaces de Saint-Pierre, ne pas se tordre les chevilles, lire les paysages, respirer.... (G. Marchand).

C’est rouge, c’est violet, c’est Broadway !


Les teintes générales des roches taillées à Saint-Pierre vont du rose au rouge, en passant par le violet. Certaines d’entre elles se patinent en blanc, mais perdent leur robustesse et leurs qualités pour la fabrication des outils. En règle générale, il s’agit de rhyolites ignimbritiques fiammées ou roses fluidales.
  
Préformes de pièce bifaciale en rhyolite sur leur lit de camarine (G. Marchand)

Après des journées entières de marche, les formations géologiques dites du Cap Rouge  - présentes à plusieurs endroits de Saint-Pierre - nous ont livré deux sites d’extraction exploités intensément par les hommes et femmes de la Préhistoire, dont l’un est jonché de milliers d’éclats et de préformes de pièces bifaciales.

Affleurement de rhyolite ignimbritique (G. Marchand)


Silicification rouge dans un tuf, de moindre valeur à la taille que les rhyolites (G. Marchand)

De petites silicifications rouges apparaissent de temps à autres dans les tufs des formations supérieures, mais dans ce cas elles ne peuvent constituer que de faibles appoints pour les tailleurs préhistoriques.

Il reste encore de vastes zones à parcourir, mais d’ores et déjà émergent des points saillants dans les territoires d’approvisionnement, tandis que la très grande variabilité des faciès sur les mêmes gisements est une évidence.

L’île de Miquelon dispose de semblables coulées de rhyolites roses, roches acides propices à la fabrication d’outillages ; là-bas, tout reste à explorer.
 

Référence géologico-bibliographique


Blein O., Rabu D., Courbouleix S., Audru J.-C. (2015) -  Carte géologique de la France (1/50 000) et sa notice, feuille Saint-Pierre et Miquelon. BRGM Éditions.

 
Le prospecteur doit se réjouir sans retenue lorsqu'il triomphe après des jours de labeur ; il doit à l'inverse cacher sa peine lorsqu'il rentre bredouille. Dignité, humilité et sagacité (G. Marchand)

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