Empreintes des sociétés mésolithiques et néolithiques


L’empreinte de notre espèce sur les écosystèmes s’est accrue progressivement au cours du temps. Le développement du Néolithique au septième millénaire avant notre ère en Europe, et au sixième millénaire en France, constitue évidement un seuil primordial dans ce processus, qui voit le remplacement des économies de chasse-cueillette par les économies agro-pastorales. Il ne faut pas croire cependant que les hommes et les femmes du Paléolithique et du Mésolithique n’intervenaient pas de manière marquante dans la gestion de leurs paysages. Ce sont ces traces matérielles et ces altérations, certes réversibles, que les archéologues et les spécialistes des paléo-environnements traquent, pour écrire une histoire conjointe des hommes dans leur milieu naturel. 

Un niveau archéologique du Mésolithique, assemblage complexe de restes organiques et d'outils (@G. Marchand)

 

Que signifie être chasseur-cueilleur ?


L’espèce humaine s’est nourrie par la chasse, la pêche, la cueillette de végétaux et le ramassage de mollusques ou d’insectes pendant l’essentiel de sa présence sur cette planète, soit au moins un million d’années sur l’actuel territoire français.

Sont qualifiés de chasseurs-cueilleurs, ces hommes et ces femmes qui n’auront pas modifié de manière stratégique leur écosystème et qui n’auront pas altéré le pool génétique des ressources qu’ils exploitent. Plus généralement, ils forment des groupes dont l’essentiel de l’alimentation vient de la prédation, sans préjuger de leur organisation sociale ou de la complexité de leur système technique. Les travaux des archéologues et des ethnologues montrent l’immense diversité de ces sociétés, qui ont des logiques très éloignées d’une simple adaptation aux changements environnementaux sous contraintes climatiques.

Les dix mille dernières années ont vu le contrôle des animaux et des végétaux, par des processus très progressifs d’apprivoisement et de domestication. Ils sont toujours en cours d’ailleurs, puisque l’on continue à s’approprier des espèces végétales sauvages ou à élever de nouvelles espèces animales, comme les insectes. On est entré évidemment ainsi dans une autre logique, où priment d’autres interactions avec le monde.
 

Techniques de capture


Les interventions des êtres humains sur l’environnement se font à travers des systèmes techniques, où s’associent gestes et outils.

La réalisation des outils s’inscrit dans l’espace, puisqu’il faut acquérir des matériaux, par exemple extraire le silex ou d’autres roches taillables dans des carrières, et produire des outils dans des ateliers et des habitats, autant d’actes qui laissent des déchets dans les paysages. Les capacités de ces outils et techniques à intervenir sur les environnements ne doivent pas être minorées.

 Trapèzes symétriques du Téviecien (@G. Marchand)

La chasse fait intervenir des armes d’hast (épieux) au Paléolithique ancien et moyen, peut-être déjà des sagaies également, puis au Paléolithique supérieur vers 40 000 ans, des sagaies et des propulseurs. L’arc et les flèches se développent ensuite, à partir au moins du treizième millénaire avant notre ère et surtout au Mésolithique, où c’est l’arme usuelle de chasse dans les forêts de l’Holocène.

Le piégeage de ces proies est probable, notamment lorsque l’on observe la capture d’animaux de toutes les classes d’âge. Les épisodes de chasse massive sont bien connus, par exemple pour le bison en Aquitaine au Paléolithique moyen, ou le cheval dans l’est de la France au Paléolithique supérieur, ou le lapin au Paléolithique final en Aquitaine, ou le bouquetin dans les Pyrénées au Mésolithique. Au delà du décompte des proies, on manque de moyen pour définir l’impact de ces chasses sur les populations animales.

Dans le domaine marin cette fois, il faut faire une place à part à des dispositifs de piégeage massifs des poissons et des crustacés, connus sous le nom de pêcheries. Il s’agit de murets en pierres ou de lignes de pieux installés sur des segments de côtes les moins exposés, derrière des îlots, dans des baies ou dans les estuaires.
Barrage de pêcherie actuel dans le département de la Manche (@G. Marchand)

Barrage de pêcherie actuel dans le département de la Manche (@G. Marchand)

Leur implantation en milieu d’estran leur permet de profiter des deux marées quotidiennes, pendant lesquels les animaux marins entrent et sont piégées lors du reflux. L’archéologie les a révélées chez les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique au Danemark ou en Irlande. Leur inventaire en domaine maritime a été entrepris en Bretagne il y a quelques années par Marie-Yvane Daire et Loïc Langouet, qui soulignent que des dizaines d’entre-elles n’étaient fonctionnelles qu’avec des niveaux marins du Mésolithique ou du Néolithique.

On voit ainsi que ces techniques de prédation ne sont pas forcément anodines par leurs effets sur les populations animales. On peut se demander dans quelle mesure ces chasses intensives ont pu déstabiliser les écosystèmes, voire engendrer par rebonds des bouleversements dans les sociétés humaines dépendant de ces ressources.

A l’inverse, le rôle de la cueillette est souvent minoré dans notre perception de ces modes de vie préhistorique, à cause d’une moins bonne conservation des restes végétaux sur les sites archéologiques. Les comparaisons ethnographiques laissent pourtant penser qu’elle était importante, notamment dans les forêts de l’Holocène.


Stockage


L’anthropologue Alain Testart a proposé que le stockage des denrées alimentaires, pour une consommation différée, représente la véritable césure entre les sociétés de la Préhistoire. En effet, il permet l’accumulation de richesses et s’observe dans des sociétés parfois qualifiées de complexes, c'est-à-dire des sociétés à rangs.

Pour notre propos sur les interactions hommes-milieux, le stockage est un paramètre important, car il est lié à des ressources saisonnières abondantes, comme le saumon ou certains fruits. Il est lié à des collectes massives, dont l’impact sur les écosystèmes devait être notable, même s’il reste peu quantifiable avec les données dont on dispose. C’est un des thèmes de recherche les plus importants à l’heure actuel.

 

Emprise sur les paysages


Peut-on déceler des interventions encore plus massives sur les paysages ? Des niveaux d’incendies forestiers ont été signalés dans toute l’Europe boréale, tempérée et méditerranéenne, tant au Mésolithique qu’au Néolithique. Ils sont enregistrés dans les niveaux de tourbière. De manière générale, il y a une corrélation entre ces signaux incendies forts, l’augmentation du radiocarbone résiduel dans l’atmosphère, des bas niveaux de lacs et des étés chauds et secs.

L’interprétation à donner à ces événements brutaux peut faire intervenir les humains, qui ouvriraient ainsi le couvert forestier. De telles pratiques sont amplement signalées par les ethnologues dans des populations de chasseurs-cueilleurs d’Amérique du Nord, en contexte de forêts sèches, boréales ou tempérées. Elles visent à transformer radicalement l’équilibre des chaînes alimentaires. Après l’incendie, la reconquête par une végétation basse et dense favorise les jeunes pousses susceptibles d’être consommées par les herbivores, dont la population croît pour le plus grand profit des chasseurs. L’intentionnalité de ces incendies du début de l’Holocène reste évidemment difficile à démontrer.

Système de mobilité


Dans les économies de chasse-cueillette, la localisation des ressources n’est pas contrainte par l’être humain, même si des cas de plantation de fruits ou de graines furent signalés, par exemple en Australie, et même si l’on a posé l’hypothèse dans le Mésolithique de l’Europe tempérée d’un entretien des taillis de noisetiers pour en améliorer la rentabilité. Comme aucune ressource n’est jamais suffisamment abondante et complète d’un point de vue nutritif pour autoriser le plein développement sur place d’une population, les humains ont dû jongler entre plusieurs cycles naturels et profiter notamment des périodes les plus favorables, comme la croissance des plantes, l’agrégation des grands mammifères ou la migration en masse de certaines espèces. 

 
Habitat,s extension spatiale des mobilités circulaires et rythmes de déplacement sont des paramètres que l'on peut étudier par l'archéologie pour définir un système de mobilité (cyclique) durant la Préhistoire
Il serait réducteur de ne voir en la mobilité collective qu’une réponse aux contraintes de l’environnement, même si les liens sont évidents. Se déplacer a également pour vertu d’entretenir les réseaux d’alliance et de parenté avec des groupes voisins. Pour résumer, le nomadisme est l’huile dans les rouages des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Nous tentons de saisir ses rythmes et son aire d’extension, et ses modifications au cours du temps.
La mobilité de la résidence est parfois de mise, lorsque le groupe en son entier se déplace pour profiter de l’apparition des ressources. On connait de tels régimes dans des environnements tropicaux ou équatoriaux. Dans des environnements aux contrastes saisonniers plus marqués, dans les latitudes tempérées et surtout boréales, on observe une mobilité davantage logistique. Dans ce cas, il y a des habitats de longue durée pour le groupe principal, et des sites dits logistiques dévolus à des activités particulières.

Le site mésolithique de l'Essart à Poitiers, fouillé entre 2003 et 2005, vaste habitat aux multiples foyers (@G. Marchand)

Sur le littoral de la Bretagne du Mésolithique, aux septième et sixième millénaires avant notre ère, c’est un tel système que l’on a pu mettre en évidence, les habitats de longue durée se manifestant sous la forme d’épaisses couches de sédiments et de déchets organiques. L’abondance des coquilles marines les a fait nommer amas coquillier.

On sait désormais que leurs occupants pratiquaient une prédation à large spectre, en bénéficiant à plein de l’implantation en situation d’écotone.

Néolithisation


L’implantation de villages au Néolithique ancien et l’introduction de nouvelles espèces animales et végétales domestiquées ont laissé des traces tangibles que l’archéologie révèle lors des fouilles. Lors du Néolithique ancien, l’obtention de fûts pour l’érection de maisons ou de palissades nécessitait l’abattage de nombreux arbres, de même bien sûr que l’établissement des parcelles agricoles imposait de se débarrasser d’une partie de la végétation naturelle.

Un habitat du Néolithique ancien en cours de fouille en Ille-et-Vilaine (@G. Marchand)

Ethnologues ou ingénieurs agronomes ont bien décrit les systèmes de culture sur abattis-brûlis en milieu boisé, qualifiés aussi de « systèmes agraires forestiers », qui sont aux fondements des premières économies agricoles. Ce système est réversible, car de nouvelles parcelles doivent régulièrement être défrichées tandis que les autres sont laissées en sommeil. Cela peut expliquer pourquoi l’emprise agricole sur les paysages est enregistrée avec des siècles de retard dans les tourbières, alors que les villages d’agriculteurs sont bels et bien connus.
 

En conclusion


En définitive, l’empreinte humaine sur les paysages durant la Préhistoire est légère, en comparaison des développements de l’ère industrielle, mais elle n’en est pas moins perceptible. Il y a tout lieu de s’en réjouir, car ce sont ces traces parfois subtiles qui permettent de retracer les étapes et les moyens de cette emprise croissante de notre espèce sur les environnements naturels et donc d’écrire notre histoire.


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