Premier Mésolithique de Bretagne : le groupe de Bertheaume entre 8200 et 7500 avant notre ère


Identification d’une industrie lithique originale en Finistère


A la suite de la découverte de quatre sites mésolithiques dans le département du Finistère, un groupe culturel fut identifié par Pierre Gouletquer au début des années 1970 et dénommé industrie de type Bertheaume, d’après une station en sommet de falaise à l’entrée de la rade de Brest. Cette industrie exclusivement lithique était caractérisée par une panoplie de microlithes constituée de triangles, principalement scalènes et effilés, de petites pointes et d'armatures d'un type original, les « lamelles Bertheaume »


Principaux sites du groupe de Bertheaume. Les niveaux bathymétriques des -50 m et des -20 m sont indiqués devant les côtes actuelles ; ils donnent une enveloppe approximative de la situation du littoral au début du huitième millénaire avant notre ère. Désignation des sites : 1 : le Bilou, 2 : Kervouyen, 3 : La Trinité Goarem Lann ; 4 : Kergalan ; 5 : Quillien ; 6 : Toul an Naouch ; 7 : Kerangoarant ; 8 : Pointe Saint-Michel ; 9 : Bertheaume ; 10 : Keryan ; 11 : Kerguelven ; 12 : Kermorvan ; 13 : Pont ar Roudouz ; 14 : Cougn-ar-Zac'h ; 15 : Kervignen ; 16 : Foënnec ; 17 : Raguénez ; 18 : La Villeneuve ; 19 : Er Fons ; 20 : Pen Hoat Salaün ; 21 : Ploumanac’h ; 22 : Kergoubleau ; 23 : la Croix-Audran ; 24 : Roc-de-Gite ; 25 : Flamanville EDF (@ G. Marchand).

Quelques points de typologie

 
Le groupe de Bertheaume peut se définir par une association nécessaire de types d’armatures :
  • lamelles étroites (-5 mm de large) à un ou deux bords abattus, tronquées ou non, qualifiées d’armatures Bertheaume,
  • triangles scalènes étroits,
  • pointes étroites à un bord abattu, avec ou sans base retouchée.



Dans les ensembles abondants (Kergalan, Kervouyen, Bertheaume, Pointe Saint-Michel), la pointe large à deux bords abattus et à base brute est représentée, la convexité naturelle de la base est à noter car elle dénote un choix systématique du support. La pointe étroite à un bord abattu et base retouchée (rectiligne ou convexe) est beaucoup plus rare (Toul-an-Naouc’h). Les pointes à troncature oblique sont régulièrement présentes, mais en faible quantité. D’ordinaire, l’extrémité apicale de ces pointes est installée sur la partie proximale du support, la plus épaisse. Les triangles isocèles sont signalés à Kergalan, mais ils sont assez irréguliers ; il en va de même des segments. Les triangles de Montclus sont parfois présents, même si les formes plus courtes sont majoritaires (triangles de Montclus apparentés). Leurs retouches non abruptes et une plus grande régularité de la forme permettent de les distinguer aisément des armatures Bertheaume. Ces triangles sont très étroits (jusqu'à 5 mm de large).

Datations

Le groupe de Bertheaume se place entre les phases anciennes et moyennes du premier Mésolithique, soit à la fin de la période pollinique du Préboréal et au début du Boréal, à la charnière entre le 9ème et le 8ème millénaire avant J.-C. Cette période se caractérise par un développement important du noisetier au détriment du pin.

Répartition spatiale

Les 36 sites aujourd’hui reconnus occupent tous le département du Finistère, à l’exception d’une petite station à l’est de l’île de Groix. Parce que l’identification de ces pièces lithiques minuscules était plus aisée sur les chemins côtiers très érodés et délavés par la pluie, le groupe de Bertheaume a été longtemps un « faciès côtier ». Les prospections ultérieures ont permis de garnir notablement l’intérieur de ce département.
 
Le fort de Bertheaume à Plougonvelin, à proximité de l'implantation du Mésolithique (@ G. Marchand, 2021)
Le fort de Bertheaume à Plougonvelin, à proximité de l'implantation du Mésolithique (@ G. Marchand, 2021)

 
La Pointe Saint-Michel à Plouguerneau, fameux site occupé au premier Mésolithique (groupe de Bertheaume) (@G. Marchand, 2021).
 

Une fouille préventive à Pleuven, Finistère, en 2008

Fouillé en 2008 par Eric Nicolas (INRAP) et Grégor Marchand (CNRS) sur une surface de 3700 m² en préalable à l’aménagement d’une grande surface commerciale, le site de Pen Hoat Salaün (commune de Pleuven, Finistère) a livré deux occupations, l’une rapportable au groupe de Bertheaume (premier Mésolithique / 8300–8200 avant J.-C.), l’autre à la fin du Néolithique ancien (4800-4700 avant notre ère). 
 

Installé sur le haut d’une pente en bordure de plateau et surplombant un graben, le site domine un très vaste panorama ouvert vers le nord-est. Cette situation topographique élevée a favorisé le déplacement des sédiments sur le versant et le remaniement des pièces archéologiques, qui se répartissent dans trois unités stratigraphiques superposées (US 1 à 3). 

La fouille a montré l'existence d'une concentration principale (zones E6-F6) cernée par des bancs granitiques altérés et d'une autre sur la pente (zone D4), toutes deux attribuables au premier Mésolithique, tandis que les vestiges néolithiques gisaient principalement dans l’US médiane (US 2) et formaient un bruit de fond en périphérie d’un habitat plus au sud, très dégradé et resté inexploré. 

Les datations par le radiocarbone obtenues autorisent à placer l’occupation mésolithique à fin du neuvième millénaire avant notre ère, soit un positionnement un peu plus ancien que les dates déjà connues. 

Le silex exploités sous forme de galets littoraux représente 98,8 % du mobilier, grès éocène et ultramylonite de Tréméven apparaissant de manière très marginale. Le débitage lamellaire se fait selon une exploitation semi-tournante, avec une différentiation nette entre le centre de la table dédié aux lamelles étroites à extrémité effilées et les bords de cette surface de débitage, qui livrent des produits plus larges (lamelles et éclats lamellaires), à bords légèrement convexes, avec parfois un peu de cortex en partie latérale ou disto-latérale, et un profil torse. Le débitage est unipolaire en phase terminale, mais au préalable, il fut parfois bipolaire et séquentiel.

Les armatures identifiées ne dépareillent pas dans le concert des industries du groupe de Bertheaume : lamelles étroites (2-3 mm) à un ou deux bords abattus, triangles scalènes assez courts, divers types de pointes, dont celles à deux bords abattus et base brute, et de très rares triangles isocèles et segments. Un grand nombre de galets utilisés en percussion lancée ou posée a également été découvert, de même que des boulettes d’ocre et un grès à rainure. L’absence de structures aménagées en lien avec ces occupations mésolithiques, observation déjà effectuée lors des sondages sur d’autres sites, n’est pas liée à l’érosion, mais reflète soit des pratiques culturelles originales, soit un type d’habitat particulier dans les cycles de mobilité. Les analogies typologiques mobilisées dans cet article permettent de discuter des rapprochements culturels proposés autrefois, en tenant compte des interactions entre traditions techniques régionales connues dans le premier Mésolithique.

Publication principale dans :Nicolas E., Marchand G., Deloze V., Juhel L., Vissac C., 2012 - Les occupations mésolithiques de Pen Hoat Salaün enBretagne : premiers résultats de la fouille préventive et retour d’expériencesur les méthodes employées. Bulletin de la Société Préhistorique Française, 109, n°3, p. 457-494.


La fouille en décembre 2008 (@G. Marchand)

Comparaison (n’est pas raison)

Le groupe de Bertheaume est identifié par des lamelles étroites (2-3 mm) à un ou deux bords abattus et à troncature oblique, des triangles scalènes étroits et assez courts et dans une moindre mesure, par divers types de pointes, dont celles à deux bords abattus et base brute. Le débitage des séquences lamellaires est réalisé par percussion à la pierre à partir d’un plan de frappe unique avec une modalité semi-tournante. Le reste de l’outillage aménagé comprend des éclats épais denticulés et des grattoirs sur éclats, mais il est évident que le support brut est le fondement sur lequel repose l’essentiel de l’équipement. Enfin, s’il n’y a pas d’outils lourds façonnés comme on en connaît ailleurs à la même époque (Écosse, Irlande, Cantabrie, Portugal, Bassin parisien), il est fait grand usage de galets allongés en roches métamorphiques ou magmatiques.

Les ressemblances entre Sauveterrien et groupe de Bertheaume sont loin de l’assimilation ; les divergences portent sur la diversité des types de pointes dans le groupe de Bretagne et sur l’absence de pointes de Sauveterre. Il faut donc bien admettre que le premier n’est pas l’extension septentrionale d’une même vaste culture. La convergence technique est une hypothèse nouvelle que l’on se doit de considérer. Les deux groupes sont engagés dans une miniaturisation de leurs outillages et ils possèdent un fonds commun : triangles scalènes et lamelles à dos. E. Ghesquière insiste sur les similitudes entre les groupes de Horsham et du Nord-Cotentin (Ghesquière et alii, 2002) ; elles permettent de dessiner une entité technique cohérente de part et d’autre du détroit. Le groupe de Bertheaume peut alors être conçu comme une forme diminutive de cet ensemble.

La position de cette entité stylistique et technique en extrémité de péninsule lui confèrera toujours logiquement une homogénéité typologique plus grande que celle d’un groupe continental, puisque les possibilités d’interactions sont plus restreintes et cantonnées à une frange seulement de l’espace, vers l’est : sans en avoir toutes les contraintes, cela n’est pas sans rappeler les contextes insulaires. Il faut donc considérer d’abord cet effet géographique lorsque l’on affiche l’unité évidente de cette entité technique et stylistique, qui se trouve comme les autres à la croisée de plusieurs aires de répartition d’objets et de techniques.


Pour en savoir plus….


Berrou Pierre, Gouletquer Pierre, 1973 - L'épipaléolithique de la région de Plovan (Finistère), B.S.P.F., Tome 70, N°6, p. 166-172.

Blanchet S., Kayser O., Marchand G., Yven E., 2006 - Le Mésolithique moyen en Finistère : de nouvelles datations pour legroupe de Bertheaume, Bulletin de la Société Préhistorique Française, 103, 3, p. 507-518.

Gouletquer P., 1973 - Découverte d'une nouvelle industrie mésolithique en Bretagne Occidentale. In : Kozlowski S.K.(dir.), the Mesolithic in Europe, Warsaw University Press

Gouletquer P., Morris J., Stourm J.C., 1974 - Prospection archéologique au Pays Bigouden, méthodes, résultats, perspectives. Penn ar Bed, Vol.9, n°79, p. 468-483

Ghesquière E., Lefèvre P., Marcigny C., Souffi B., 2000 - Le Mésolithique moyen du Nord-Cotentin, Basse-Normandie, France. BAR International Series 856, 292 p.

Kayser O., Le Goff J.C., Roué D., 1990 - Le site mésolithique de Toul-an-Naouc'h, Plougoulm, Finistère. Revue Archéologique de l'Ouest, 7, p. 23-29.

Marchand G., 2001 - A la recherche d’un site perdu : les occupations mésolithiques et néolithiques de Raguénez (Névez, Finistère). Société Archéologique du Finistère, tome CXXX, p. 27-41.

Marchand G., 2014 – Préhistoire atlantique. Fonctionnement et évolution des sociétés du Paléolithique au Néolithique. Arles : Éditions Errance, 520 p.

Marchand, G., 2014. Premier et second Mésolithique : et au delà des techniques ? (Beyond the technological distinction between the Early and Late Mesolithic). In: Henry, A., Marquebielle, B., Chesnaux, L., Michel, S. (Eds.), From the Techniques toward the Territories: New Insights into Mesolithic Cultures, Proceedings of the Round table, November 22-23 2012, Maison de la recherche, Toulouse (France), P@lethnology, 6, p. 9-22.

Nicolas E., Marchand G., Deloze V., Juhel L., Vissac C., 2012 - Les occupations mésolithiques de Pen Hoat Salaün enBretagne : premiers résultats de la fouille préventive et retour d’expériencesur les méthodes employées. Bulletin de la Société Préhistorique Française, 109, n°3 p. 457-494.,

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