Confinarchive 5 - Nomades de la Mer

Préhistoire récente des îles de Bretagne

L’occupation des îles durant la Préhistoire pose de passionnantes questions, longtemps laissées en suspens par les archéologues plutôt concentrées sur les dynamiques historiques continentales :
  • Pourquoi occuper des espaces confinés aux ressources parfois limitées ?
  • Quel est le rôle des îles dans le système littoral ? Disposent-elles de ressources particulières ? Sont-elles autonomes ou bien inféodées au continent ?
  • Comment ces habitats des îles étaient-ils occupés au cours de l’année, lors des circuits de mobilité des hommes et des femmes de la Préhistoire ?
  • Quels étaient les moyens de navigation ?
  • L’insularité s’accompagne-t-elle de particularités dans l’outillage ou bien encore dans les choix d’installation des campements ?
C’est pour répondre à ces questionnements que nous avons bâtis plusieurs programmes de recherche depuis 2009, à Belle-île-en-Mer, Hoedic, ou encore à Sein... 

Iles de Téviec et Guernic, sièges d'importants habitats du Mésolithique et du Néolithique (@G. Marchand)

Géographie littorale

La métamorphose drastique des rivages atlantiques de la France au cours de l’Holocène est tributaire de la remontée du niveau des mers, tandis que les ajustements isostatiques n’interviennent pas de manière tangible. De ce fait, les traces archéologiques des sociétés maritimes du Paléolithique supérieur jusqu’au début du Mésolithique ont été ennoyées ou détruites lors de la transgression marine. Au milieu du septième millénaire avant notre ère, le niveau des océans tend à se stabiliser à une quinzaine de mètres sous l’actuel et ces villages de pêcheurs apparaissent enfin dans les viseurs des archéologues.

Paysage sud-armoricain, à l'ouest de l'île de Hoedic (@G. Marchand)

En confrontant la courbe de remontée marine, les courbes bathymétriques et les données archéologiques, il est possible de proposer un premier inventaire des sites mésolithiques réellement insulaires. Ces occupations se sont déroulées pour l’essentiel à la fin du septième et surtout au sixième millénaire avant notre ère, si on excepte GU 582 à Guernesey daté de l’intervalle 7500-7300 avant notre ère.

Pourquoi aller dans les îles ?

Le choix de s’’implanter sur des îles plus ou moins proches du continent répond peut-être à des considérations symboliques ou à un tropisme expansionniste de notre espèce, mais nous ne prétendons pouvoir éclairer ici que certains paramètres économiques et techniques.

Comment expliquer la présence des nombreux sites mésolithiques sur des îles à l’équilibre écologique fragile ? Il est évident que la survie des grands mammifères (cerfs, chevreuils, sangliers) en milieu clos a dépendu de la gestion stricte de la prédation par les populations humaines, sans résilience possible contrairement aux zones continentales. D’ailleurs aujourd’hui, ces grands mammifères n’existent plus sur ces îles et cette extinction n’est pas datée. 

Seules les ressources marines autorisent à établir un stationnement de longue durée. D’ailleurs, l’abondance des sites et le très grand nombre de silex montrent que l’occupation fut régulière. Les restes organiques préservés dans le niveau coquillier mésolithique de Hoedic révèlent que les ressources océaniques étaient prépondérantes dans l’alimentation des humains. La chasse au phoque est alors une possibilité à garder en mémoire, sans que l’on puisse la démontrer faute de restes osseux préservés sur les îles hormis à Hoedic.

Bordelann : un exemple de village de la fin du Mésolithique à Belle-Ile

Découvert en 2004 par Gérald Musch, le site mésolithique de Bordelann sur la commune de Sauzon est très vite apparu comme le plus important habitat de cette période découvert sur l’île de Belle-Ile-en-Mer. Les milliers de silex gisant dans un vallon de la côte ouest, à proximité d’une source pérenne, témoignaient d’un campement humain de longue durée, sur une surface relativement restreinte (2200 m² environ).

Bordelann, en bord de vallon, sur le relief tabulaire de Belle-île-en-mer (@G. Marchand)

Il y a plus de 8000 ans, les hommes et les femmes abordaient-ils au fond de l'anse de Kerlédan pour s'installer une saison près de la source de Bordelann à Belle-Île ? (@G. Marchand)

Une série de carottages manuels a d’abord été réalisé en 2009, qui montraient quelques cuvettes dans le rocher, sous la semelle de labour, susceptibles d’avoir préservé des sédiments préhistoriques. Des sondages manuels furent réalisés sur la parcelle en avril 2011, qui ont confirmé la destruction presque totale des niveaux par l'érosion naturelles et les labours. Des colluvions récentes colmataient la zone autour de la source, sans pour autant préserver de niveau préhistorique.




Le mobilier lithique recueilli est très abondant (4000 pièces). Les armatures sont presque toutes des bitroncatures symétriques trapézoïdales (c'est à drie des flèches tranchantes). L’outillage aménagé du fonds commun est quant à lui assez anodin, à l’exception des couteaux à bord abattu convexe. Ce mobilier très homogène est identique à celui issu du niveau coquillier Beg-er-Vil à Quiberon, bien daté de l’intervalle 6200-6000 avant notre ère.

Dessin manuel des pièces de surface, avant encrage (@G. Marchand)

Malgré ces évidentes limites sédimentaires, ce site reste fondamental pour la fin du Mésolithique à l’échelle régionale, comme un exemple encore unique de vaste habitat insulaire sans amas coquillier à la différence de Hoedic. Ses occupants entretenaient à l’évidence des liens directs avec Beg-er-Vil et les habitats continentaux.

Un compte-rendu plus précis est disponible dans cet article :
Marchand G., Musch G., 2013 - Bordelann et le Mésolithique insulaire en Bretagne. Revue archéologique de l'Ouest, n° 30, 2013, p. 7-36.

Gérald Musch, archéologue-peintre et peintre-archéologue 

Dans cette enquête sur le Mésolithique insulaire, un partenariat amical efficace s’est mis en place avec Gérald Musch, concepteur à profusion d’images et fin connaisseur du patrimoine de Belle-Ile-en-Mer. Il arpente la grande île, récolte des silex, collecte les plus infimes des mentions, puis il reconstitue des paysages, des ambiances ou des hypothèses.


Depuis 2009, nous dialoguons sur chantiers de fouille, dans les landes et sur les grèves, pour proposer des visions du Mésolithique littoral et insulaire. Les propositions des uns et des autres sont testées, validées ou infirmées ; le dialogue avec le passé s'échappe un temps des austères rapports de fouille ou des articles scientifiques ; portés par ces crobards ou ces images plus abouties, la connexion est toujours plus directe avec tous nos interlocuteurs. Le dessinateur est décidément un soutien essentiel de nos opérations de fouille.

Voici trois exemples de nos échanges, autour du site de Beg-er-Vil à Quiberon.




Cette expérience unique a été restituée en 2019 par un remarquable ouvrage sur la Préhistoire de Belle-île-en-Mer, à la fois puissamment érudit et porté par des images flamboyantes très inspirantes. C'est véritablement un chef-d’œuvre. Il est accessible sur commande ici ou alors par courriel à biemasso [at] yahoo.fr


Quelques références bibliographiques pour aller plus loin...

Conneller C, Bates M, Bates R, Blinkhorn E, Cole J, Pope M, Scott B, Shaw A. 2016 - Rethinking Human Responses to Sea-level Rise: The Mesolithic of the Channel Islands. Proceedings of the Prehistoric Society, 82, p. 27-71.

Marchand G. 2013 - Le Mésolithique insulaire atlantique : systèmes techniques et mobilité humaine à l’épreuve des bras de mer. In Daire M.-Y. (dir.), 2013 - Ancient Maritime Communities and the Relationship between People and Environment along the European Atlantic Coasts, Proceedings of the HOMER 2011 Conference, British Archaeological Reports, International Series 2570, Oxford: Archaeopress., p. 359-369.

Marchand, G. 2014. Préhistoire atlantique. Fonctionnement et évolution des sociétés du Paléolithique au Néolithique. Arles : Éditions Errance, 520 p.

Marchand G. 2020 - . Mesolithic networks of Atlantic France: the two faces of Brittany (7th and 6th millennia cal BC). In Schülke A. (dir.) - Coastal Landscapes of the Mesolithic: Human Engagement with the Coast from the Atlantic to the Baltic Sea. London : Routledge, p. 202-226.

Marchand G., Musch G., 2013 - Bordelann et le Mésolithique insulaire en Bretagne. Revue archéologique de l'Ouest, n° 30, 2013, p. 7-36.

Péquart M., S.-J. Péquart. 1954 - Hoëdic. Deuxième station-nécropole du Mésolithique côtier armoricain. Anvers : De Sikkel, 93 p.

Philippe M., 2018 - Un état des connaissances sur la navigation préhistorique en Europe atlantique. Bulletin de la Société Préhistorique Française, 115, 3, p. 567 - 597.

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