Confinarchive 4 - Des feux dans la vallée


Habitats du Mésolithique et du Néolithique récent de L’Essart à Poitiers (Vienne)



 Une gravière à creuser...

La révision de mes archives de fouille nous entraine de plus en plus loin dans la mémoire (nostalgique) de l’archéologue confiné. 

La rencontre entre la croissance urbaine au nord de la ville de Poitiers, l’enregistrement sédimentaire favorable en fond de vallée et une localisation attirante pour diverses populations humaines ne pouvait qu’engendrer des travaux d’archéologie préventive, qui pour contraignantes qu’ils furent pour les aménageurs n’en ont pas moins été une formidable chance pour comprendre le patrimoine (et sauver ce qui pouvait l’être). 

Une vue du site en 2004 (@G. Marchand)

Dans une zone aujourd’hui presque totalement couverte de constructions industrielles, le creusement d’une gravière a été stoppé in extremis au mois d’août 2000, suite à l’identification des vestiges archéologiques par François Blanchet, archéologue au Service Régional d’Archéologie. Le site mésolithique et néolithique de l’Essart fut provisoirement épargné sur environ 2500 m². Une évaluation complémentaire a été menée par Pierrick Fouéré en août 2001, prélude à la fouille programmée réalisée durant trois été, de 2003 à 2005 (21 semaines de terrain avec une moyenne d’une vingtaine de fouilleurs), sous ma direction.

Décapage en 2003, à la poursuite des tranchées anciennes (@G. Marchand)

Le site

Le site apparaissait comme un dôme discret en fond de vallée, entouré à l’est par le Clain, à l’ouest par un chenal. Les processus sédimentaires et pédologiques, contribuant à la formation et l'évolution du site, ont été soumis à l'influence de la dynamique fluviatile d'une part, latérale d'autre part. Les processus sédimentaires ont été de plus en plus canalisés dans le chenal, expliquant son comblement total et la fossilisation des assemblages archéologiques et des foyers. 


Essart, 2003. Dégagement d'un niveau de pierre (@G. Marchand)
 
Essart 2004, dégagement du niveau mésolithique (@G. Marchand)
 
Essart 2005, dégagement du sol préhistorique, encore et encore (@G. Marchand)

Les vestiges archéologiques gisaient à environ 0,50 m sous la surface actuelle, protégés par des limons récents. Dans la moitié inférieure d’une couche de limon, une occupation du Néolithique récent (Vienne-Charente) a laissé des vestiges assez nombreux, céramiques et lithiques. Le niveau sous-jacent, marqué par de nombreuses pierres brûlées, a livré une forte densité de silex taillés d’âge mésolithique. La transformation post-dépositionnelle de niveau archéologique est importante et l’occupation néolithique s'est superposée directement sur la précédente. 

Pierres de foyer vues en coupe, à la base des limons (@G. Marchand)
 
Une répartition différentielle des occupations est perceptible, avec les pièces du premier Mésolithique au sud du site et celles du second Mésolithique au nord ; mais cette distinction est loin d’être stricte. Il en va de même pour la composante du Néolithique récente (dit Vienne-Charente), que l’on rencontre sur toute la surface de fouille. 

A l’échelle du site, un changement des types d’armature de bas en haut de la couche archéologique évoque un fantôme de stratigraphie certes inattendu, mais validé par les comparaisons avec des stratigraphies en abris dans le sud-ouest de la France.

Fouille minutieuse, habilement protégée du soleil (@G. Marchand)


Relevés manuels en 2003, avant que l'on passe au relevé photographique systématique :(@G. Marchand)

Les foyers

Au sein du niveau mésolithique, les trois campagnes de fouille ont permis d’identifier 53 structures empierrées : 27 soles circulaires posées à plat d’environ un mètre de diamètre, 3 soles circulaires limitées, 14 probables vidanges de foyers, 1 fosse à pierres brûlées et probablement quelques regroupements naturels de blocs brûlés. 

Le niveau archéologique, vendredi ‎1 ‎août ‎2003, à ‏‎09:33:48 h (@G. Marchand)


Plan du site dans la moitié sud (@L. Quesnel et G. Marchand)

Foyer à plat à la base des limons (@G. Marchand)
Le foyer 53, une sole de pierres rubéfiées, type le plus fréquent (@G. Marchand)

L’analyse micromorphologique de la structure de combustion E21 témoigne de remaniements naturels assez faibles ; alors que les charbons ont été très altérés, les cendres apparaissent encore nettement sous la forme d’un anneau autour de la sole de pierre. Un fonctionnement en grill semble très probable, avec un balayage de la sole avant la cuisson. Une expérimentation a été réalisée pour déterminer les températures de chauffe des calcaires et silex des foyers. Elle était stimulée également par une observation a priori paradoxale : pourquoi n’avons-nous jamais trouvé de sédiment rubéfié alors que la quasi-totalité des pierres relevées sur le site était fortement brûlée ? Les résultats expérimentaux ont confirmé les observations de terrain et le rôle du feu dans les changements d’aspect des pierres est évident. On peut sur la base des résultats obtenus sur le silex estimer que des températures maximales sont comprises dans l’intervalle 600°c ≤ T° ≤ 750° C. Au-delà de 800°c, tous les échantillons atteignent le stade de chaux, à l’exception du silex.

Foyer 36 (@G. Marchand)

Les silex


Le nombre de pièces lithiques recueillies en place et étudiées ici est de 155460. Le taux de pièces brûlées frappe les esprits (85% éléments recueillis ; 22 % des pièces hors casson thermique) ; cet impact particulièrement marquant du feu n’est pas imputable à des incendies naturels et confère à cet habitat un rôle particulier dans l’exploitation des territoires. Quelles que soient les périodes, les matériaux lithiques taillés proviennent du calcaire bajocien des coteaux et dans une moindre mesure d’un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de l’Essart. Au moins sept méthodes de débitage ont pu être décrites (trois du premier Mésolithique, deux du second Mésolithique, une probablement du Néolithique récent, une difficile à dater). 


Beaucoup, beaucoup, beaucoup de silex rubéfiés, explosés au feu, vraiment beaucoup (@G. Marchand)
 
L’occupation mésolithique est attribuable à plusieurs phases du premier et du second Mésolithique. Pour ce dernier, des caractères typologiques particuliers parmi les armatures (trapèzes asymétriques à retouches rasantes, pointes de Sonchamp, triangles scalènes à retouches inverses rasantes, flèches de Montclus) désignent un faciès poitevin du Mésolithique du Centre-Ouest, très évolué et contemporain du Retzien. Cette diversité des types s’exprime dans un très vaste ensemble réparti dans le quart nord-ouest de la France, entre Seine et Marais poitevin, qui s’oppose notamment à un ensemble aquitain. 


Armatures du second Mésolithique trouvées à l'Essart (dessins de François Blanchet)
 
Les lames à encoches du Second Mésolithique de l'Essart (Dessins F. Blanchet)


Les méthodes de production de lamelles et d’éclats minces telles qu’elles s’expriment à L’Essart sont connues par les tailleurs du Centre-Ouest, et même au-delà, de la Bretagne à l’Aquitaine en passant par le Limousin. Elles figurent parmi d’autres méthodes de débitage, elles-mêmes développées à grande échelle dans le second Mésolithique en Europe occidentale, mais elles présentent quelques particularités selon les zones géographiques, qui aboutissent à des variantes qu’il reste à définir clairement par des études technologiques. On l'a qualifié ici de débitage sériel sur table resseré.

Schéma de production des lames et lamelles au second Mésolithique à l'Essart (@G. Marchand)

La découverte au sommet de la couche archéologique de nombreuses flèches de Montclus, attribuées d’ordinaire au Néolithique ancien d’origine méditerranéenne, est un élément extrêmement important pour la compréhension de la dynamique de néolithisation et du rôle des dernières communautés autochtones. Il y a donc en Haut-Poitou au sixième millénaire avant notre ère, des interactions avec des systèmes techniques développés plus au sud, dans le Bassin aquitain, mais dans quel cadre économique se placent ces interactions ? Il n’y a pas à l’Essart de tessons attribuables au Néolithique ancien et les ossements sont trop désagrégés pour détecter des traces d’animaux domestiques. L’hypothèse la plus simple est de proposer une attribution au Mésolithique, comme pour les autres armatures géométriques de la couche.

Flèches de Monctlus trouvées à l'Essart (Dessins de François Blanchet)

Bilan


Grâce à son exceptionnel état de conservation, le niveau mésolithique de l’Essart apparaît comme un élément fondamental dans la compréhension des dernières communautés de chasseurs-cueilleurs et de leurs liens avec les premiers agriculteurs en Poitou. Le statut du site reste largement conjectural ; cependant, il s’opposerait à une autre gamme de site du Mésolithique en abris-sous-roche, par l’importance des structures de combustion et par son extension spatiale.

Moulage d'un foyer à destination du Musée de Poitiers, le mardi ‎16 ‎novembre ‎2004, à 09:07:16 (@G. Marchand)

Le site de l'Essart ou bien plutôt l'ex-site, en 2013 (@G. Marchand)

Il y a aujourd’hui un vaste étang aux eaux vertes à l’emplacement du site, une station d’épuration flambant neuve au nord, une précieuse ligne de TGV tout du long, des hangars industriels un peu partout. 

Quelques rapports confidentiels et des publications d’archéologues attestent du passé de ces lieux molestés :



Blanchet F. (2000) - L’Essart (Poitiers, Vienne). Rapport d’évaluation. 25 pages.

Blanchet F. (2002) - L’Essart (Poitiers, Vienne). Rapport de fouille préventive. 75 pages.

Bourguignon L., Ségart N., deloze V., Sellami F., Emery-Barbier A., Beyries S. (2001) – Le gisement moustérien de La Folie (Poitiers). Document Final de Synthèse. AFAN Grand Sud Ouest. Service Régional de l’Archéologie de Poitou-Charentes, p. 130.

Bourguignon L, Sellami F., Deloze V. Sellier-Segart N, Beyries S et Emery-Barbier A. (2002) - L’habitat moustérien de La Folie (Poitiers, Vienne) : Synthèse des premiers résultats, Paléo, n° 14, p 29-48.

Bourguignon L., Vieillevigne E., Guibert P., Bechtel F., Beyries S., Emery-Barbier A., Deloze V., Lahaye C., Sellami F., Sellier-Segard N. (2006) - Compléments d'informations chronologiques sur le campement moustérien de tradition acheuléenne du gisement de La Folie (Poitiers, Vienne). Paléo: revue d'archéologie préhistorique, ISSN 1145-3370, Nº. 18, , pags. 37-44.

Marchand G., 2010 - L’Essart à Poitiers (Vienne). Vivre au bord du Clain au Mésolithique. In : Buisson-Catil J. et Primault J. (ed.), Préhistoire entre Vienne et Charente. Hommes et sociétés du Paléolithique. Mémoire XXXVIII. Chauvigny : Association des publications Chauvinoise, p. 329-334.

Marchand G., Michel S., Sellami F., Bertin F., Blanchet F., Crowch A., Dumarçay G., Fouéré P., Quesnel L., Tsobgou-Ahoupe R., 2007 - Un habitat de la fin du Mésolithique dans le Centre-Ouest de la France : L’Essart à Poitiers (Vienne). L’Anthropologie, 111, p. 10-38.

Marchand G., Blanchet F., Lopez-Romero Gonzalès de la Aleja, Maitay C. et Sellami F., 2007 - Les peuples du dôme : archéographie des installations préhistoriques de l’Essart (Poitiers, Vienne). Association des Archéologues de Poitou-Charentes, n°36, p. 21-41.

Marchand G., Michel S., Quesnel L. et Sellami S., 2008 - Les structures de combustion de l’Essart (Poitiers, Vienne, France) : des épandages de pierres au fonctionnement d’un habitat mésolithique. In : Aubry T., Almeida F., Araújo A. C., Tiffagom M. (ed), Space and Time: Which Diachronies, Which Synchronies, Which Scales ? Colloque UISPP, Lisbonne 2006, Session C64, BAR International Series 1831, p. 101-108.

Marchand G. (dir) 2009 - Des feux dans la vallée. Les habitats du Mésolithique et du Néolithique récent de l’Essart à Poitiers. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, collection « archéologie et culture », 246 p.

Tchérémissinof Y., Beliez Yann (2) ; Ranché C. (2004) - La fosse et l'équidé du site de « La Folie », Poitiers, Vienne, Préhistoire du Sud-Ouest, 2004 (2), n°11, p. 225-240.

Tchérémissinof Y., Fouéré P. et Salanova L. (2000) - La sépulture campaniforme de la Folie (Poitiers, Vienne) : présentation préliminaire, in Internéo-3, Journée d’information du 2 décembre 2000, Paris. Association pour les études interrégionales sur le Néolithique (INTERNEO), p. 161 – 167.

Tchérémissinoff Y., Braguier S., Convertini F., Deloze V., Fouéré P., Miailhe V., Ranché C. et Salanova L. (2001) - "La Folie". Occupations néolithiques et protohistoriques (Commune de Poitiers, Vienne). Rapport de sauvetage urgent, AFAN, DRAC - SRA Poitou-Charentes, 112 p.
 



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