Confinarchive 2 : Azilien des Monts d'Arrée



Des chasseurs du Tardiglaciaire dans les collines humides du Centre-Bretagne

L'abri-sous-roche de Kerbizien à Huelgoat (Finistère)



L’abri-sous-roche de Kerbizien se trouve dans la partie orientale du massif de granite de Huelgoat (Finistère), bien connu pour les chaos que son érosion engendre lorsque les arènes ont été érodées. Ces boules rocheuses énormes ont certes représenté une entrave à la circulation humaine sur les pentes et surtout au fond des vallées. Mais ils constituaient aussi des abris favorables, hélas très dégradés par l’action des carriers des XIXème et XXème siècles.

Début des fouilles en juillet 2011 (@G. Marchand)

L’abri-sous-roche de Kerbizien sur la commune de Huelgoat (Finistère) s’ouvre dans un énorme bloc granitique installé en sommet de coteau, qui a miraculeusement échappé à ces destructions. Il mesure 9,50 m à l’ouverture pour environ 5,50 m de profondeur, avec une hauteur sous plafond de 2,80 m depuis le socle rocheux et une surface habitable d’environ 11 m².

Intérieur de la caverne (@G. Marchand)

Son remplissage sédimentaire épais de plus d’un mètre a été presque intégralement détruit au début des années 1980, mais un tamisage des déblais et un sondage dans la cavité avaient permis à Jean-Michel Moullec de décrire avec précision les différentes composantes chrono-culturelles présentes, Paléolithique final, Mésolithique et Moyen-âge. Un sondage de sauvetage fut réalisé par ce chercheur en 1984 après avis favorable du Service régional de l’archéologie, puis une nouvelle campagne de tamisage des déblais en 1985.

Fouille du lambeau de couche azilienne en fond d'abri (@G. Marchand)
 
Laurence brique l'Azilien en place (@G. Marchand)

La fouille réalisée en juillet 2011 a permis d’identifier des niveaux en place du Tardiglaciaire (Azilien) au fond de la caverne. Ils formaient une bande de deux mètres de large le long de la paroi et étaient constitué d’un mélange de limons et de sables granitiques issus de l’érosion des parois. 


La totalité du site a été fouillée en juillet 2011, à l’exception d’un bourrelet limoneux au sud-ouest du bloc dont la partie supérieure comprend des occupations aux vestiges indémêlables. Les sédiments ont été tamisé à maille fine et à l'eau, pour en extraire jusqu'aux moindres esquilles.


Tamisage à l'eau des sédiments (@G. Marchand)


Relevé de l'intérieur de la caverne (@G. Marchand)

Section du niveau azilien en place (@G. Marchand)

Le mobilier archéologique est réalisé principalement sur des galets de silex collecté sur la côte, mais on observe aussi des grès éocène, des microquartzite, des cataclasites et des calcédoines. Cette bonne connaissance des ressources géologiques régionales est un élément important à garder en mémoire, qui démontre que les parcours étaient réguliers dans cette partie occidentale de la région dénuée de silex en position primaire. 

On doit noter aussi un travail plus sommaire de petites plaquettes de schiste et de trois gros blocs de granite taillés sommairement. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, ils ont manifestement été taillés, comme le montre un raccord. La destination de ces débitages massifs de fragments du granite local laisse perplexe… Il ne faut peut-être pas y chercher autre chose qu’une activité anecdotique des occupants aziliens.


Blocs de granite taillés, découverts dans le niveau azilien en place (@G. Marchand)


Parmi les 1313 pièces lithiques issus de la fouille et du tamisage réalisés en 2011, 20% proviennent des unités stratigraphiques tardiglaciaires en place. Pointes à dos courbes, grandes lames très utilisés et chutes de burin composent un assemblage aisément comparable à l’Azilien dans une phase ancienne, très rare dans le nord-ouest de la France. Le site de comparaison le plus probant est celui du Rocher-de-l'Impératrice, à Plougastel-Daoulas (Finistère), fouillé depuis 2013 par Nicolas Naudinot.

La signature fonctionnelle de l'industrie lithique de Kerbizien est originale et serait tout à fait compatible avec l’hypothèse d’une station logistique (i.e. haltes de chasse) de groupes très mobiles.
 
Pointes à dos courbe trouvées dans le niveau azilien en place (@G. Marchand)
 
La remarquable cavité creusée dans le bloc monolithique de Kerbizien a été le siège d’occupations humaines dès le Paléolithique final : grandes lames retouchées et bipointes nous inclineraient à attribuer l’assemblage de Kerbizien à une phase ancienne de l’Azilien, seulement représentée à Roc’h Toul et au Rocher de l’Impératrice pour le cadre régional (autour de 12500-11500 avant notre ère).

Il est permis d’imaginer des expéditions de chasse dans cette zone collinaire du centre de la péninsule bretonne. L’usage des roches locales, même en faibles proportions, est une information également essentielle, qui incite à croire en un bon arpentage des alentours par ces gens de la Préhistoire. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’expéditions de chasseurs depuis les grandes plaines de l’Est du Massif armoricain, mais de modèles économiques plus complexes qui s’appuient sur une connaissance approfondie de cette zone collinaire.

Tranchée exploratoire hors de la cavité (@G. Marchand)

On note aussi - mais seulement dans les déblais - plusieurs phases du Mésolithique. Enfin, une des scories métallique a été datée du Haut Moyen-âge, autre période pendant laquelle l’abri-sous-roche a représenté un intérêt particulier. La destruction d’une telle séquence est évidemment à déplorer. Notre opération de 2011 sur des lambeaux aura néanmoins permis d’identifier et de fouiller en totalité un reste d’occupation azilienne qui éclaire un peu la fin des temps glaciaire en Bretagne.

Une partie de l'équipe, satisfaite d'elle-même (@A. Flageul)


Publication complète ici

Marchand G., Monnier J.-L., Pustoc’h F., Querré L. (2014) – Un visage original du Tardiglaciaire en Bretagne : les occupations aziliennes dans l’abri-sous-roche de Kerbizien à Huelgoat, Paléo, 25, p. 5-45.


Quelques références complémentaires


Gouletquer P., Kayser O., Le Goffic M., Léopold P., Marchand G., Moullec J.-M. (1996) - Où sont passés les Mésolithiques côtiers bretons ? Bilan 1985-1995 des prospections de surface dans le Finistère, Revue Archéologique de l’Ouest, 13, p. 5-30.

Marchand G., Blanchet S., Chevalier G., Gallais J.-Y., Le Goffic M., Naudinot N., Yven E. (2004) - La fin du Tardiglaciaire sur le Massif armoricain : territoires et cultures matérielles, Paléo, 16, p. 137-170.

Marchand G., Naudinot N., 2015 – Tous aux abris ! Les occupations du Paléolithique final et du Mésolithique dans les cavités naturelles du Massif armoricain. Bulletin de la Société Préhistorique Française, 112, 3, p. 517-542.

Naudinot N, Bourdier C, Laforge M, Paris C, Bellot-Gurlet L, Beyries S, Théry-Parisot I, Le Goffic M (2017a) Divergence in the evolution of Paleolithic symbolic and technological systems: The shining bull and engraved tablets of Rocher de l’Impératrice. Plos One 12: . doi: https://doi.org/10.1371/journal.pone.0173037

Naudinot N., Marchand G. (2020) - Take shelter! Short-term occupations of the Late Palaeolithic and the Mesolithic in the French far West. In : Picin A. et Cascalheira (ed.), Short-Term Occupations in Paleolithic Archaeology, Definition and Interpretation, Springer book (series "Interdisciplinary Contribution to Archaeology"), p. 121-146.










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